18 à 24 Mois : Les chagrins de grand

Depuis que Lana est née, je lui parle de tout. Elle avait trois jours quand je lui ai raconté tout l'aventure de sa venue au monde. Evidemment, elle ne comprend pas tout, elle ne retient sans doute pas tout, mais je sais que cela met entre nous un climat de transparence et de confiance.

Son papa, lui, voudrait qu'on lui cache quand on est malade, quand on est malheureux. Pour moi, ce n'est pas la solution : Lana sent que de toute façon, quelque chose ne va pas.

Elle est très empathique. Quand un petit garçon est triste, elle est triste également, et va le consoler. Quand sa maman se cogne, elle a mal, et pleure. En lui cachant la vérité, je pense que ce serait pire : elle croirait qu'elle est elle-même la raison du "truc qui est secret".

Cependant, il y a des choses que je ne lui montre pas. Cet été, notre chat Luna a dû nous quitter, atteinte d'un cancer. J'ai tout bien expliqué à Lana sur le départ de Luna, sa fin définitive, mais je lui évité de voir sa maman pleurer à chaudes larmes. Elle s'est bien aperçue que le chat avait disparu. Elle a d'ailleurs noué une nouvelle relation avec Nuga, le deuxième chat, qui se retrouve lui aussi sans copine. Deux solitudes font une nouvelle amitié. Elles se consolent mutuellement. Et Lana n'a sans doute aucune conscience de ce que signifie la mort, pour le moment. Quelqu'un était là, quelqu'un n'est plus là. C'est tout. Je ne sais pas quel souvenir elle gardera de Luna qu'elle adorait. Sans doute pour elle, Nuga et Luna ne forment plus qu'un : une entité qu'elle appelle " Chat" et avec qui elle joue à cache-cache et aux câlins.

Il y a 4 mois, nous nous apprêtions à partir au parc quand j'ai appris une terrible nouvelle : un de mes amis les plus chers est mort brutalement. Jeune, en pleine forme, invincible, il a succombé à un arrêt cardiaque. J'ai énormément pleuré, je pleure toujours, je suis inconsolable, et rien ne guérira tout ça. Je suis pourtant partie au parc sans une larme devant Lana. Cela ne la concerne pas, elle ne l'a vu qu'une fois. Je ne lui ai rien dit.

Mon ami était un très grand danseur. Elle voit ses vidéos et elle me dit "c'est beau". Nous partageons ainsi les bons souvenirs qu'il me reste de lui. Que c'est dur, de pleurer en cachette, que c'est dur, de rire et de s'amuser. J'ai l'impression d'être branchée sur un courant alternatif. Jean qui rit et Jean qui pleure. Cette peine-là ne regarde pas Lana et elle n'a pas à supporter une maman malheureuse. En revanche, le petit bébé qui grandit dans mon ventre y a droit en continu. Je ne sais pas ce qu'il en restera dans son caractère, si cela va "l'imprégner" d'une certaine façon. sera t-il plus sensible ? Pleurera t-il beaucoup ?

J'aurais tant aimé que mes enfants connaissent mon ami, grandissent en le voyant comme modèle de danse et de vie. C'était quelqu'un de formidable. Mais de toute cette tristesse, je ne peux rien partager. En revanche, il me reste la danse, tout ce qu'il m'a appris. Peut-être que mes enfants voudront apprendre à danser eux aussi. Alors je leur parlerai de cet ami formidable, ce merveilleux danseur de salsa.

Un jour, Lana perdra également un être cher : un doudou, un petit chat, le hamster de l'école... ou même un ami. On aimerait tant les préserver de tous les malheurs... Ce n'est pas possible. C'est ça aussi, être parent : accompagner son enfant dans toutes les étapes de la vie, tous les événements, sans minimiser, sans balayer cela d'un revers de main, ou d'un " il y a plus grave". Non, les chagrins des petits, c'est aussi fort que les chagrins des grands. Ce sont des Chagrins de Grand.  Je redoute ce moment.